DECISION DE JUSTICE SUITE A LA NON MISE EN OEUVRE DES NOTIFICATIONS DE LA CDAPH
le 29/04/2024 à 01h37

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CERGY-PONTOISE

 

 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 Le Tribunal administratif  de Cergy-Pontoise

1ère Chambre

 

 

M. et Mme….

 

M. Plas Rapporteur

 

M. Ricard

Rapporteur public  

 

 

Audience du 2016

Lecture du    2016

 

 

04-02-04

 

Vu la procédure suivante :

 

       Par une requête et des mémoires enregistrés le  2014 et le         .         2015 et  le    2016,  M.  et Mme   .         agissant  tant  en  leur  nom  propre qu'en qualité d'administrateurs légaux de leur fille mineure · ,, représentés par Me Grevin, demandent au tribunal, dans le dernier état de leurs écritures :

 

       1°) de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de  191 658,04  euros  en  réparation des préjudices subis tant par eux-mêmes que par leur fille en raison des carences de l'Etat dans la prise en charge des troubles autistiques de celle-ci, ladite  somme  assortie  des intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2014  ;

 

       2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application  des  dispositions de l'article L. 761- 1 du code de justice  administrative.

 

Ils soutiennent que :

       - l'Etat n'a pas mis en œuvre les décisions de la commission des droits et  de  l'autonomie des personnes  handicapées  (CDAPH)  relatives  à la prise en charge  de leur fille

en milieu scolaire ordinaire ;

        - l 'Etat n'a pas mis en œuvre les orientations prononcées par la CDAPH pour la prise en charge de leur enfant par le service d'éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) Les Premières classes à Suresnes ;

- ces carences révèlent une faute de nature à engager la responsabilité  de l'Etat  ;

- ils ont subi de ce fait un préjudice  moral, évalué à la somme de 45 000 euros  ;

 

- leur fille a également subi un préjudice moral, évalué lui aussi à la somme de 45   000 euros ;

 

- ils  ont  également  subi  un  préjudice  financier  d'un montant  de  101 658,04 euros,

 

constitué par  les pertes  de salaires  consécutives  à l'arrêt de l'activité professionnelle  de  Mme

       , pour 53 542,89 euros, et par les frais occasionnés par le recours à une tierce personne et l'intervention d'une psychologue, pour 48 115,15 euros.

 

 Par deux mémoires en défense, enregistrés les directeur général de l'Agence régionale de santé

 2015 et        2015,  le conclut au rejet de la  requête.

 

Il fait valoir :

       - à titre principal, que le droit à l'accès à la scolarisation et l'éducation de la fille des requérants n'a pas été méconnu ;

- à titre subsidiaire, que les préjudices allégués sont surévalués.

 

Par un mémoire en défense enregistré le conclut au rejet de la requête.

2015,  le  recteur  de  l'académie de

 

Il fait valoir :

       - à titre principal, que la requête est irrecevable faute de démontrer que la demande indemnitaire préalable a effectivement été notifiée au ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

        - à titre subsidiaire, que le droit à l'éducation de la fille des requérants n'a  pas  été  méconnu dès lors que ceux-ci ont décidé d'avoir recours à  une  accompagnatrice  privée  avant même que les services de l'éducation nationale aient  pu  mettre  en  œuvre  les  décisions d'orientation  de la  CDAPH.

 

Vu les autres pièces du dossier ; Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative.

 

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

 

 

Ont été entendus au cours de l'audience publique:

 

- le rapport de M. Plas, premier conseiller,

- les conclusions de M. Ricard, rapporteur public,

- et les observations de Me Grevin pour M. et Mme    . et leur fille

 

 

       1. Considérant  que  M.  et Mme     demandent  à  ce  que  l'Etat  soit  déclaré responsable  en raison  du  défaut  de  prise  en charge  de  leur  fille     selon  les orientations successivement prononcées par la comrrnss1on des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) entre 2011 et 2014 et soit condamné à réparer le préjudice moral  subi par leur fille et par eux mêmes  ainsi que leurs préjudices  financiers  ;

 

Sur la fin de non-recevoir opposée par le recteur :

 

       2. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'avant d'introduire leur requête, M. et Mme      ont adressé le         2014 une demande indemnitaire préalable au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche par lettre  recommandée avec avis de réception ; que ce courrier a été reçu le                    2014 ; que, dès lors, la fin de non recevoir  opposée par  le recteur de l'académie de         tirée  de l'absence  de preuve de la notification de cette demande préalable, ne saurait être accueullie ;

 

 

Sur la responsabilité de l'Etat :

 

        3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : << Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques .

/ Adaptée à l'état et à l'âge de la personne et eu égard aux moyens disponibles, cette prise en charge peut être d'ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. " ; qu'aux termes de l'article L. 112-1 du code de l'éducation : "Pour satisfaire  aux  obligations  qui lui  incombent (...),  le  service  public   de   l'éducation   assure  une formation        scolaire, professionnelle          ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés. " ;   qu'aux   termes   du   premier   alinéa   de  l'article  L.  131-1  de  ce  même   code :

" L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français  et étrangers,  entre six ans et seize ans. "  ;

 

       4. Considérant,  en premier  lieu, qu'il résulte  de  ces dispositions  que, d'une part,  le droit  à l'éducation étant garanti à chacun quelles que soient les différences de situation, et l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce droit, ni de faire obstacle au respect de cette obligation ; que, d'autre part, le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome  autistique,  quelles  que soient les différences de situation ; que si, eu égard à la variété des  formes  du  syndrome  autistique,  le législateur  a voulu que la prise en charge, afin d'être adaptée aux besoins et difficultés  spécifiques  de  la personne handicapée, puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l'accueil dans un établissement spécialisé  ou  par  l'intervention  d'un  service  à  domicile,  c'est  sous réserve que la prise en charge soit effective  dans  la  durée, pluridisciplinaire,  et adaptée à  l'état et à l'âge de la personne  atteinte  de ce syndrome   ;

 

        5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que par une décision en date du 2011, la commission des droits et de l'autonomie  des personnes  handicapées  des  _

a accordé à la jeune          une auxiliaire de vie scolaire individuelle  à hauteur  de six heures par semaine ; que, par plusieurs décisions successives, ladite commission a réitéré cette orientation en augmentant à douze puis à vingt-quatre heures par semaine la prise en charge de la Jeune        ; que, malgré  ces décisions, l'inspection  académique n'a pas procédé  au recrutement d'une auxiliaire  de vie afin de répondre aux  besoins  d'une prise  en charge adaptée de la  jeune

   . ; que  si  le  recteur  de l'académie  de        fait valoir  en défense  que les démarches nécessaires  n'ont pas  été menées  à leur terme  en raison  de celles  entreprises  au préalable par

M. et Mme    pour  le  recrutement  d'une  accompagnatrice  privée,  cette circonstance  n'est pas de nature à exonérer les services de l'Etat des obligations qui  leur  incombe  en  vertu  des articles précitées du code de l'action sociale et des familles et du code de l'éducation et en vertu desquelles il revient à l'Etat, dans ses domaines de compétence, de mettre en place les moyens financiers et humains nécessaires afin que le droit pour les personnes handicapées qui entendent poursuivre leur scolarisation ait un caractère effectif ;  que,  dès  lors,  l'absence  de  recrutement d'une auxiliaire de vie révèle une carence de l'Etat dans la mise en œuvre de ses obligations et constitue une  faute de nature  à engager sa responsabilité   ;

 

       6. Considérant, en second lieu, qu'en vertu de l'article L. 241-6 précité du code de l'action sociale et des familles, il incombe à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, à la demande des parents, de se prononcer sur l'orientation des enfants atteints d'un syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission ; qu'ainsi, lorsqu'un enfant autiste ne peut être pris en charge par l'une des structures désignées par la commission en raison d'un manque de place disponible, l'absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l'Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d'une telle prise en charge dans une structure adaptée ;

 

7. Considérant   qu'il  résulte  de  l'instruction  que  par  un  jugement   en  date   du

        * 2013, le Tribunal du contentieux de l'incapacité                              a prononcé l'orientation de la jeune        en  établissement  médico-social et désigné le  service  d'éducation  spécialisée  et de soins à domicile (SESSAD) .            ; que malgré ce jugement, la jeune n'a pas pu bénéficier d'une prise en charge de ce type dès lors que l'établissement désigné a refusé, faute de place, sa prise en charge comme en atteste le courrier adressé aux requérants le 9 décembre 2013 ; que si la jeune        a tout de même pu bénéficier, dans l'attente que  des places se libèrent au sein du SESSAD .                       , d'une prise en charge depuis la rentrée scolaire 2014 par le service de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire (SSEFIS)               ·         ·   . l'absence  de  prise  en  charge  spécifiquement  adaptée   à ses troubles, selon l'orientation prononcée par le Tribunal du contentieux de l'incapacité et la CDAPH, révèle une carence de l'Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que la fille des requérants bénéficie effectivement d'une prise en charge pluridisciplinaire au sens de l'article L. 246-1 du code de l'action sociale et des familles et constitue également une   faute de nature à engager sa responsabilité ;

 

Sur les préjudices :

 

En ce gui concerne la perte de revenus de Mme

 

       8. Considérant  que si les requérants font valoir  que Mme          a été contrainte, à compter du mois de janvier 2011, de cesser l'activité professionnelle qu'elle exerçait à plein temps et qu'elle aurait pu reprendre une activité à compter du mois de janvier 2013, il ne résulte toutefois pas  de  l'instruction  que  l'arrêt  de  toute  activité  professionnelle  de  Mme présenterait un lien direct avec la carence fautive de l'Etat dans la prise en charge de la jeune

en l'absence, notamment, de toute justification quant aux conditions de la rupture du contrat de travail  de l'intéressée  qui avait pris  effet le 25 janvier  2011, soit antérieurement  à la première

décision de la comm1ss10n des droits et de l'autonomie des personnes handicapées ; que l'affirmation  selon laquelle Mme          aurait pu retrouver un travail à compter du  mois de janvier  2013 si le SESSAD .                   avait été en mesure d'accueillir la jeune  n'est pas corroborée par l'instruction ; que, dès lors, la réalité de ce préjudice financier n'est pas établie ;

 

En ce qui concerne les frais engagés :

 

       9. Considérant, en premier lieu, que le lien de causalité direct entre, d'une part, le préjudice financier résultant du recrutement et la rémunération d'une psychologue afin d'assurer une mission de supervision de !'accompagnatrice privée recrutée  par  les requérants  et d'autre part, l'absence de recrutement par l'Etat d'une auxiliaire de vie ou de l'absence de place en SESSAD n'est pas établi ;

 

       10. Considérant, en second lieu, qu'en raison des insuffisances dans la prise en charge de  leur  enfant,  M. et Mme          ont  eu  recours  au  service  d'une  tierce personne pour répondre aux besoins à la fois scolaires et personnels de la jeune     ; que si les requérants sont  en droit de prétendre à l'indemnisation des frais occasionnés par le recours à une tierce personne, ces frais ne sauraient donner lieu à indemnisation si leur montant est inférieur à celui du complément perçu par les requérants au titre de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, lequel est destiné à compenser les dépenses liées au handicap de leur fille ;

 

        11. Considérant  que M.  et Mme   sollicitent  une  indemnité  de 39 525,15 euros au titre du seul préjudice financier correspondant aux frais liés  au  recrutement  et  à  la  rémunération par  leurs  soins  d'une  auxiliaire  de  vie  scolaire  pour  leur  fille  ;  que  les requérants bénéficient toutefois depuis le 1cr avril 2012  du  complément  5  de  l'allocation d'éducation d'enfant handicapé et depuis le 1er février 2014 du complément 6 de cette même allocation ; qu'il résulte de l'instruction que le montant des frais liés au recrutement et à la rémunération de l'auxiliaire de vie scolaire engagés par les requérants demeure inférieur à celui  perçu au titre des compléments  de l'allocation  d'éducation  de  l'enfant handicapé  ; que, dès  lors,  les dépenses alléguées ne sauraient en l'espèce  donner  lieu  à indemnisation,  le préjudice  ayant ainsi  déjà été compensé  par  l'octroi  de l'allocation  précitée ;

 

En ce qui concerne le préjudice moral :

 

       12. Considérant  que  l'absence  d'une  prise  en  charge  de  la jeune         conforme à l'orientation principale prononcée par le Tribunal du contentieux de l'incapacité lui a causé un préjudice moral dont ilsera fait une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 15 000 euros, compte tenu de la circonstance qu'elle a tout pendant ces années d'une scolarisation avec l'aide d'un auxiliaire de vie scolaire puis d'une prise en charge par le service de soutien à l'éducation familiale  et  à l'intégration  scolaire ;  qu'il  sera  également  fait une juste appréciation du préjudice moral subi par ses parents en leur allouant une somme de 20 000 euros chacun ;

 

        13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'Etat est condamné à verser à M. et Mme une  somme  globale  de 40 000 euros  et, en leur  qualité de représentants légaux de leur fille mineure       , une somme de  15 000 euros,  les deux sommes étant assorties des intérêts    au taux légal à compter du 23 juillet 2014, date de réception de la demande indemnitaire par le ministre  de l'éducation nationale,  de l'enseignement  supérieur et de la recherche   ;

 

 

 Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

 

14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

"Dans toutes les instances, lejuge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu 'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n y a pas lieu à cette condamnation" ;

 

        15. Considérant qu'il y a lieu,  dans  les circonstances  de l'espèce,  de mettre  à la charge  de l'Etat  le versement  à M.  et Mme   de la somme totale  de 3 000 euros au  titre  des frais exposés  par eux et non compris  dans les dépens  ;

 

 

 

D E C I D E :

Article  1er : L'Etat est condamné  à verser  à M. et Mme    , en leur  qualité de représentants légaux de leur fille mineure  , une  somme  de  15 000  euros,  avec  intérêts  au  taux  légal  à  compter  du  23 juillet  2014.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme avec intérêts au taux légal à compter du 23 juillet 2014.

une  somme de 40 000 euros,

 

Article 3 : L'Etat versera à M. et  Mme

L. 761-1 du code de justice administrative.

une somme de 3 000 euros au titre de   l'article

 

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme          est rejeté.

 

Article  5 :  Le  présent  jugement   sera  notifié  M. et Mme .,  à  la  ministre  de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des  femmes.

 

Copie en sera adressée, pour information, au recteur de l'académie de Versailles et au directeur général de l'Agence régionale  de  santé d'Ile-de-France.

 

Délibéré après l'audience du       2016, à laquelle siégeaient  :

 

M.Geffray, président,

M. Plas, premier conseiller,

M. Mulot, conseiller,

 

Lu en audience publique le          2016.

 

Le rapporteur,         Le président,

 

 

signé  signé

 

 

F. Plas          J-E.Geffray

 

 

Le greffier,

 

 

signé

 

 

S. Le Gueux

 

 

La République mande et ordonne à la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et  de  la  recherche et à  la ministre des affaires sociales,  de la santé  et des droits  desfemmes  chacune en ce qui les concerne  ou à tous huissiers dejustice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir  à !'exécution de laprésente   décision.

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